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jeudi 25 novembre 2010

lettre ouverte au Président de la République... et à tous les autres







Monsieur Le Président de la République,

Je me permets de vous écrire une lettre ouverte, alors même que je suis certain que ce courrier ne vous atteindra jamais. C'est le principe d'une lettre ouverte, tout le monde la lit, sauf le destinataire. 

Elle atterrira au mieux sur le bureau de l’un de vos conseiller, qui y apportera néanmoins, et j’en suis certain, une réponse d’une grande qualité, parfaitement élaborée dans sa syntaxe, irréprochable dans sa construction logique.

Ne voyez aucune prétention de ma part à vouloir que ce courrier soit lu par vous, soit lu tout court. Je ne prétends pas détenir la vérité. J'essaye de provoquer le débat, un autre débat. De repartir du début.Alors pourquoi cette lettre ouverte à vous ? 

Alors même que je ne suis pas de gauche, alors même que je ne suis pas de droite. Ou alors ça dépend. J'essaye d'être juste, libre, et de ne pas m'enfermer dans une ligne, j'essaye de me libérer d'un courant de pensée pour aborder une réflexion, un sujet, sans parti pris, sans a priori. Car je fais partie de ceux qui pensent que la complexité de la société ne permet plus d'avoir un mode opératoire d'analyse fondé sur une doctrine
soit de gauche,  soit de droite. Les choses sont moins tranchées et parfois plus nuancées.

Alors même que j'exprime quelques coups de gueule, que certains qualifient de virulents, et qui ne sont que sincères, contre certains de vos propos, vous me l'accorderez avec le recul, pas toujours à propos. 

Parce que vous êtes Président de la République, parce que malgré mes coups de gueule qui marquent mon intérêt pour la chose publique,  je vous vois en homme d'actions. Et que personne ne pourra vous reprocher de ne pas avoir essayé. Que je crois en votre sincère volonté de vouloir faire évoluer les choses. Et que si ce n'est vrai, c'est quand même peut être.

Parce que le pouvoir bunkerise. Parce que ça fait bien d'écrire une lettre ouverte au Président !

Il existe un vrai problème en France, inquiétant, sur lequel il faut sérieusement se pencher.

Monsieur le Président, je ne représente personne, je ne préside aucune association, je ne suis à la tête d’aucun mouvement, je suis le porte-parole de rien, je suis un citoyen français. De ceux qui vibrent pour la France, de ceux qui aiment la France. De ceux qui la soutiennent dans ses moments difficiles, de ceux qui fêtent ses victoires, de ceux qui pleurent ses défaites. Je suis un citoyen français qui a la France dans le cœur, et qui souffre quand elle saigne. Je suis un Français oriental, je suis un Français arabe. 

Je suis arabe aussi parce que je n’arrivais pas en mon temps à trouver du travail. 
Je suis arabe parce que lorsque je me présente, Karim, j’observe inévitablement un mouvement de recul. Je suis arabe parce que, souvent, ce mouvement de recul n’est que le fruit de mon imagination rendue "paranoïaque". 
Je suis arabe parce que les contrôles de Police génèrent systématiquement un « contrôle radio » avant de me rendre mes papiers.
Je suis arabe car je sens tout précaire autour de moi. Je suis arabe parce que je pense ma vie instable et à la merci d’une injustice.


Enfin et surtout, je suis arabe parce que je pense tout ceci.

Mais être cet arabe-là n’exclut pas d’être français, de se sentir français, profondément français.

J’habite la banlieue où je rentre chaque soir. Je ne brûle pas de bus ni de voiture, je n’insulte pas la police, je ne cède donc pas à la facilité du nouveau mode d'expression d'un malaise.

Si je suis victime de ce que je considérerai comme une injustice, surtout venant de quelqu'un qui compte pour moi, je me révolte, certes, et j'utilise des moyens légaux de protestations. 

Or, et le hic est là, la France fait partie de ceux qui comptent pour moi. Et j’ai parfois le sentiment de ne pas compter pour elle. Ce sentiment insupportable de la corrélation entre le manque de reconnaissance quand le travail est bien fait, et la sévérité intransigeante lorsqu’on commet une petite erreur.

Monsieur le Président, il faut condamner fermement les « pollueurs sociaux », de quelque origine qu’ils soient. Mais, il appartient à la société de distinguer les leaders des suiveurs, les fanatiques des perdus. Il faut condamner les premiers, il suffit de punir les seconds, Mais la France doit s’occuper de tous ses enfants aussi cancres soient-ils.

Une image me revient souvent, celle de ce petit garçon que nous avons tous été, discipliné et attentif en classe. Pas nécessairement le premier de la classe, pas obligatoirement le plus sage, mais celui qui ne fait pas de vague, qui ne se fait que peu remarquer. Celui qui est à l’image de la majorité des élèves, celui du plus grand nombre, celui de la majorité silencieuse.

Et puis un jour, pendant que l’enseignant a le dos tourné, brouhaha dans la classe qui vient de votre côté. Vous n’y êtes pour rien, comme d’habitude. Mais pour asseoir son autorité, l’enseignant doit sanctionner, sévèrement. Vous êtes assis au mauvais endroit, vous êtes le seul qui, et il le sait, ne va que peu protester contre la sanction, et cette protestation se fera en conformité avec les règles de la bienséance. Vous devenez la victime toute désignée, le coupable idéal, l’outil parfait pour asseoir l’autorité de l’enseignant. L’injustice tombe, elle vous noue le ventre, vous en pleurez de rage. Vous ne l’acceptez pas, mais vous l’appliquez par respect de ce que représente l’autorité.

Quand cette injustice se reproduira une deuxième fois, vous accepterez un peu moins cette autorité injuste.

La troisième fois, l’autorité ne sera plus crédible car totalement injuste. Vous la considérez même lâche de ne pas s’attaquer aux vrais coupables, aux vrais perturbateurs, qui font que votre classe a cette si mauvaise réputation.

Deux voies s’offrent alors à vous : retrousser ses manches, travailler, et travailler encore pour ne plus avoir à subir ces injustices. Ou alors aller du côté « des méchants » et être craint. Si sanction il y a un jour, elle sera certes plus lourde mais a tout de même moins de chance de « tomber ».

La démonstration est certes triviale, mais elle a le mérite d’être juste.

Il faut récompenser l’effort, il faut condamner la facilité.

Il faut que les jeunes de banlieues cessent de ne pas se croire maîtres de leurs destinées. Par la volonté, par le courage, par l'espoir d'un autre possible, par le travail, ils s’en seraient déjà sortis.
  
Notre société ne récompense plus ceux qui essayent, ne condamne plus ceux qui ne font pas, elle ne s’intéresse qu’à ceux qui ne font pas parfaitement, c'est-à-dire tous ceux qui tentent.

Monsieur le Président, le discours larmoyant sur la difficulté de s’en sortir dans les banlieues servis depuis des décennies doit être complété; il ne suffit pas. Même si le constat est vrai, cela conduit la plupart des jeunes à renoncer devant une tache qu’on leur présente comme insurmontable.

Régler notre problème de l’emploi, nous « les arabes » par le CV anonyme est une sinistre plaisanterie. Certains nous demandent de nous cacher, de cacher ce que nous sommes. L’étape suivante sera de proposer que nous allions masqué aux entretiens d’embauches pour cacher notre faciès ? Et un déformateur de voix pour éviter que l’on reconnaisse l’accent ?

On devrait poursuivre pour incitation à la haine raciale tous ceux qui proposent que les arabes cachent leurs origines pour trouver du travail !

Et tous les programmes sont à l’avenant… on ne s’attaque pas à la genèse des problèmes, on tente juste de masquer les conséquences.

Monsieur le Président, nous les Français arabes, on nous dit que nous ne sommes pas totalement français ; nous sommes des Français d’origine maghrébine. Nous ne sommes pas tout a fait citadins ; nous habitons cette étrange région de France qui n’a même plus de nom et qu’on surnomme les quartiers. Nous n’avons pas tout à fait un emploi, puisque notre travail est souvent précaire. Nous ne sommes pas tout a fait quelqu’un, nous ne sommes pas complètement quelqu’un.

Le seul repère qu’il nous reste, le seul mode de fonctionnement que l’on comprend et que l’on appréhende est le Code Civil de la Cité. Dernier bastion de notre France où, à défaut d’être accepté, on comprend les règles, on maîtrise le fonctionnement, on connaît les sanctions.
  
Monsieur Le Président, une multitude d’associations existe, régulièrement on voit à la télévision des porte-paroles de tel ou tel mouvement, des représentants de telle ou telle cité ou banlieue. Il y avait même un ministre dédié à ces questions. En son temps on avait créé SOS Racisme.

On pensait régler le problème de ce que l’on appelle l’insertion par la représentation.

La démarche est juste à cela prêt qu’aucun ou très peu se sentent représentés par tous ces mouvements.

Commençons par une représentation de proximité. Réunissons l’ensemble des éducateurs pour une conférence sur les quartiers. Créons une instance représentative des éducateurs dont les élus participeraient aux négociations sur les mesures à prendre. Le Grenelle des quartiers, mais uniquement avec les acteurs de quartiers.

Monsieur le Président, pour se sentir représenté, il faut au préalable s’être senti écouté, puis entendu, et il faut donc avoir pu parler. Or tous ceux qui prétendent avoir compris n’ont pas compris, se sont trompés et ne sont donc pas crédibles à leurs yeux pour les représenter. Même si parfois certains constats sont justes, même si parfois certaines mesures sont judicieuses, même si souvent la photographie qu’on fait est réelle, ces gens sont trop perdus pour qu’ils acceptent qu’on parle pour eux. Terrain, écoute, puis dialogue, voilà ce qui doit guider un travail énorme mais possible pour commencer à voir des horizons meilleurs. Et il ne faut pas exclure la fermeté, la vigilance et d'éventuelles sanctions.

Une majorité, une grande majorité silencieuse dans nos cités, condamne la violence, la craint et n’en veut plus.

Il faut l’aide des médias pour aider cette majorité silencieuse à s’exprimer, il faut l’aide des médias pour aider cette majorité a punir socialement les auteurs de méfaits.

Le groupe, au sens ethnologique du terme, ne joue plus son rôle de régulateur social. Les criminels se sont toujours cachés de peur, en tout premier lieu, de la sanction sociale. Le bannissement est la pire des peines. Or les caïds de nos banlieues désormais s’affichent, revendiquent leurs méfaits comme un acte de bravoure, comme une marque de respectabilité. La majorité silencieuse n’est pas dupe, mais elle se sent seule, isolée, abandonnée, et surtout "tous dans le même sac".

Monsieur le Président, le travail sera difficile et la tâche n’est pas simple. Mais il y a aujourd’hui un grand boulevard idéologique dans ce qu’on appelle les cités, et je suis surpris que personne ne s’y soit encore engouffré en réussissant à unifier toutes ces forces. Or il convient de se méfier de ceux qui réussiront cette « récupération » ; leur dessein peut être inavouable et les conséquences terribles.

Il devient urgent d’occuper le terrain également autrement, de commencer le travail d’écoute en se faisant entendre. Les médias doivent être mobilisés dans ce sens.


Il faut cesser la stigmatisation. Car finalement, l'Islam de France existe déjà, et il faudra peut être revenir à un Islam en France. L'islam modéré, c'est le pléonasme du plus grand nombre. L'Islam de la chaleur, de la convivialité et de l'accueil. L'islam du respect d'autrui. Saviez vous que le prophète a dit : "On m'a montré le Paradis et j'ai vu que la majorité de ses habitants étaient des femmes". Ca surprend, mais c'est ça l'Islam. Et non, la burqua, l'intolérance, la lapidation et autres extravagances horribles du genre.

Monsieur le Président, la France black, blanc, beur existe, on l'a vu au moins une fois unie et célébrant la victoire à la Coupe du Monde. C'est donc possible. Il suffit de trouver le liant, il suffit de trouver le lien.

Monsieur le Président, la France est une et indivisible, composée de plusieurs groupes, il faut reconnaître les particularismes de ce groupe-là, Nous devons intégrer ces particularismes à notre société. Des pas doivent être faits de part et d'autre, au plus sage de faire le premier.

Il s'agit d'une piste, d'un pan du problème, il y en a bien d'autres, la mixité sociale par exemple, l'emploi, l'école. C'est juste un début, parler.

6 commentaires:

  1. ça me fait plaisir que tu finisses par la mixité sociale

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  2. Une lettre qui devrait bien évidemment être lu par le President mais aussi par beaucoup d'autre qui de font de fausses idées et qui en plus nen changeront pas de si tôt malheureusement....

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  3. j'adore ....encore et encore .....génial !!!! comme toujours ...un admirateur de ta poesie :) de la vérité sincère

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  4. Karim,

    Encore bravo pour ce texte ...certes tu ecris à l'élite pour "tenter" ,voir "esperer" que les choses evoluent ...en esperant que le messge du haut descendra vers le bas ...mais le probleme est pour moi bien plus profond que cela ....
    Je suis mixte comme toi et me sens aussi bien francais que tunisien donc pas de problème d'identité quelconque (comme certains ...on se comprend)...Le probleme est que quelque soit la couches sociales ....le fait de juste s'appeler : Karim , Rachid; Mehdi ...tu n'es pas un Francais Arabe mais un Arabe tout court ...meme si tu es tres bien intégré dans la societe avec une bonne situation , tu reste un arabe ....les esprits de la population n'ont pas encore évolué ....nous, ca va encore car selon notre "bouille" ... on nous etiquete par le prenom mais pour les blacks par exemple ,...pas la peine de citer le prenom ....

    bref ...le chemin va etre long , d'autant plus qu'avec le temps le communautarisme s'installe de plus en plus chaque année ....

    mais ca fait du bien d'écrire ca libere l'esprit :) et la rage interieur ...

    à bientot pour la prochaine lecture ...

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  5. merci pour vos messages, tous très justes, et surtout bien gentils. Mais signez les !!! je ne sais pas qui remercier !

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