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lundi 8 février 2016

On est tous le binational de quelqu'un


Votre serveur, il vous prie de bien vouloir l'en excuser, s'est absenté bien longtemps. L'inspiration est une femme capricieuse.


Je me permets de revenir avec une petite lettre à une "intellectuelle tunisienne" qui s'en prend, c'est de mode, aux binationaux. Vous me pardonnerez cet aparté, je vous promets de faire plus global à la prochaine Humeur.

Madame Olfa Youssef  je vous envoie une lettre. Acceptez-en le ton, en deçà, croyez-le, de la blessure provoquée, de l'affront subi.
Madame Youssef, l’élite que vous êtes, bon gré mal gré, a l’obligation morale de ne pas jouer avec des concepts de divisions, avec des raccourcis intellectuels nauséabonds, à donner dans le populisme sans peuple, car ça fait bien longtemps que cette élite là a perdu pied avec la réalité et le quotidien du peuple. C’est en tout cas ce qu’exprime le peuple. Il me semble.
Vous semblez vouloir adhérer à la thèse complotiste du pétrole soit disant confisqué, parce qu’avec votre dernière déclaration sur la bi-nationalité, vous semblez vouloir creuser madame Youssef, et vous semblez vouloir creuser profond.
Madame Youssef, vous touchez le fond quand vous affirmez, en finissant sur de lourds sous-entendus, que cela n’est pas dû au pur « hasard que la plupart de ceux qui ont pris le pouvoir après le 14 janvier [sont] des binationaux ». Je ne sais pas si cette déclaration vous fait riche de pétrole, mais c’est clairement au détriment, même pas de l’intelligence, même pas du bon sens, mais du minimum d’honnêteté intellectuelle, fusse-t-elle inconsciente. Nous y reviendrons.
Sur la forme d’abord madame Youssef. Personne n’a pris le pouvoir depuis le 14 janvier comme vous l’affirmez. Parce que ne vous en déplaise Madame Youssef, le pouvoir n’est plus à prendre en Tunisie, il se gagne et par les urnes. Cette imprécision Madame Youssef, j’espère que ce n’est pas à dessein que vous l’employez. J’espère que cela relève de la précipitation du propos et non parce qu’Il vous faut connoter le binational, cet affreux complotiste qui, par ses arrangements et ses combines, confisque au peuple tunisien sa souveraineté. Je pensais le site Tunisie-Secret farfelu, vous faites volontairement ou pas, pire. Et ce n’était une maigre tâche. Même involontairement.
Sur le fond. Votre insinuation est grande quand vous dites que cette confiscation n’est pas liée au pur hasard. Voilà notre traitre binational désormais préméditant la précipitation de la Tunisie dans le gouffre économique, dans la spirale du terrorisme, puisque telle est notre situation, puisque telle est votre accusation. La Tunisie s’en sortira et s’en sortira encore plus grande Madame Youssef. Vous aussi. Mais pas forcément plus grande. En aurez-vous conscience ?
Mon père est tunisien Madame Youssef et ma mère est française, et j’aime mes parents autant l’un que l’autre. J’essaye d’être juste avec chacun de mes pays. Mon cœur n’est pas partagé entre deux pays Madame Youssef, mon cœur est suffisamment grand pour aimer les deux, comme il aime mes deux parents, qui sont bien différents l’un de l’autre. Et quand parfois leurs intérêts divergent, peut-être parce que j’aime autant l’un que l’autre, j’essaye de trouver une sortie honorable et juste pour chacun, afin que le conflit ne dure, pas, afin qu’il n’y ai pas de perdant, parce que lorsqu’il y a conflit, il y a toujours deux perdants, et c’est celui qui a le moins perdu qui gagne.
J’aime mes deux pays Madame Youssef, et je suis honnête avec chacun d’eux, ou en tout cas j’essaye de l’être. Mon amour fait que je n’essaye pas de les manipuler, par de vils calculs populistes, parce que je serai en mal de reconnaissance d’une révolution qui se serait faite sans moi, parce que je serai en mal de reconnaissance d’un pouvoir qui se serait construit sans moi.
Qui vous êtes madame Youssef pour juger de la qualité du sang qui coule dans mes veines ? Aujourd’hui vous voulez interdire les postes à responsabilité à des gens du fait de leur naissance. Et demain ? du fait de leurs couleurs de peaux ? de leur lieu d’habitation ? de leur nom de famille ?
Divisez, calomniez, vous avez raison, il en restera toujours quelque chose. Mais dans ce quelque chose il y a la responsabilité que vous portez de diviser, il y a la responsabilité d’induire en erreur ceux à qui vous vous adressez, il y a la responsabilité de vous enduire de bêtises.
Poser le débat de la binationalité, vous avez parfaitement le droit de le faire, après tout la liberté d’expression permet aussi à la bêtise de s’exprimer. Et ce débat est loin d’être bête. Mais calomnier les binationaux en les accusant de tout nos maux, parce que leur vil dessein est depuis le 14 janvier 2011 de faire main-basse sur la Tunisie, là madame Youssef, nous passons d’une possible bêtise à une certaine calomnie. De la liberté d’expression nait l’interdiction de calomnier.
Madame Youssef, vous avez omis un point, c’est que les binationaux ne veulent plus de cette prétendue élite qui croit détenir le grand livre de la vérité tunisienne dont l’histoire récente a montré qu’elle était non pas à coté mais en totale marge de la réalité du pays. Et les binationaux partagent ça avec les nationaux. Ça et tout le reste.
J’aime trop la Tunisie pour vous laisser juger à vous seule, ou accompagnée de vos amis, qui peut exercer des responsabilités dans ce pays. C’est à l’électeur et à l’électeur seul de juger.
Madame Youssef, la Tunisie ne vous appartient pas. C’est vous qui lui appartenez. Comme moi. Et notre mère patrie ne vous aime pas plus que moi quand bien même vous considéreriez que mon père a fauté. La Tunisie a ses enfants et aucun n’est illégitime. Qu’il soit binational ou de Gabes. Ne vous en déplaise. Aujourd’hui pour les binationaux.