La
plume tremblante, le tir doit se faire précis, la frappe chirurgicale. Français
par ma mère chrétienne, Tunisien par mon père musulman, être par mon espèce
humaine, tels sont mes boucliers pour affronter la folie ambiante.
Réflexe
inné : à 11h30 le 7 janvier 2015, lorsque deux ou trois on ne sait pas
bien, décérébrés, liquident la liberté de pensées aux cris d’Allah Akbar, je pleure. Je pleure encore.
Les noms des victimes tombent et je pleure encore plus de perdre, un puis deux
amis. Je pleure. Prostré, j’essuie les larmes qui me coulent aux paupières. Mes
pensées curieusement iront à mon père. Cet homme si bon, si généreux, si
ouvert, si intelligent, si courageux. Musulman.
Reflexe
acquis : je baisse la tête. Une irrésistible envie de m’excuser auprès du
monde, nous ne sommes pas ceux-là, nos croyances ne sont pas ça. C’est
horrible, c’est ignoble ce qui est arrivé. Je n’ai pas de mots. S’il vous
plait, je vous en supplie, je sais que la peine est immense, le chagrin total,
la colère grande, mais de grâce, tentons de ne pas rajouter une autre victime
aux tableaux de chasses de ces déjections génétiques, épargnons les musulmans.
Tenus en joue par ces deux ou trois terroristes, ne soyez pas ceux qui
appuieront sur la gâchette.
Réflexe
social : not in my name. Le musulman que je suis se désolidarise. Responsable mais pas coupable commence t-on à
nous dire, nous devons en faire plus. Condamner plus fort. S’invectiver plus
fort. Pleurer plus fort. Crier plus fort. Tout admettre. Renoncer à tout.
Devenir ce qu’ils veulent. Plus d’identité, plus de souffrances. Se fondre dans
la masse. Ces exécutions sont ignobles, tellement ignobles que nos souffrances
provoquées par la caricature de nos croyances n’existent plus. Caricaturez à
souhaits, moquez à volonté, mais ne nous condamnez pas, nous n’y sommes pour
rien, ni nous, ni notre religion. Nous ne dirons plus rien, promis, juré. Non
pas juré, nous sommes laïcs. Promis tout court. La liberté d’expression passe
par le silence religieux. Nos souffrances, c’est comme nos croyances, nous
allons les taire. Puisque nos souffrances, des fous les utilisent à des fins de
chaos, nous n’en parlerons plus. Puisqu’on croit même les fous.
Réflexe
ion : Responsable de quoi ? Coupable de qui ? Pour me désolidariser,
encore eut-il fallu que je sois solidaire. Outrecuidante pression sociale. Je
m’indigne, je hurle ma douleur, je cri mon désespoir, tout simplement parce que
je suis un être humain.
Que
certains laïcs et ces athées me voient comme un musulman. Soit et c’est leur droit
religieux, ceux là qui voient la religion partout. Mais ils en oublient qu’un
musulman, c’est aussi, c’est avant tout un être humain. Je les considère comme
mes semblables, ils m’instaurent différent, sans réaliser que c’est la laïcité
qu’ils blasphèment. Je passe d’alibi social à responsable sociétal.
C’est
ignoble. C’est horrible. C’est insensé ce qui c’est passé. J’ai envie de hurler
pardon, j’ai honte, tétanisé, prostré par ce que deux ou trois individus qui partagent avec moi un génome
humain ont fait. Peu importe qu’ils l’aient fait au nom de leur islam, le crime
aurait été aussi grave quelques soient les circonstances. L’islamisation de
cette tuerie n’est pas une circonstance aggravante, elle ne peut pas être plus
grave.
L’islamisation
de cette tuerie n’est pas crédible, aucune tuerie ne trouvera crédit en
quelconque cause. L’islamisation est une manipulation ; elle fait partie
de leur dessein. Mais cette partition ne sera plus jouée par eux. Ils n’ont
fait que donner le la. Combien entonneront leur musique ?
Le
caractère odieux n’est pas lié au motif du crime, mais à ces
auteurs ; des Hommes. Qu’ils
s’attaquent à des journalistes, ce n’est pas une circonstance, c’est une
victime supplémentaire qui est touchée ; la liberté d’expression.
J’accorde
le même crédit à leurs propos qu’à leurs agissements, aucun. Alors quoi, je
condamne parce qu’ils sont condamnables, ces raclures de bidets, mais en
revanche je dois prendre pour argent comptant, lorsqu’ils se revendiquent
musulmans ? C’est curieux de voir à quel point le discrédit de leurs méthodes
crédite pour certains leur appartenance musulmane.
Je
ne vous demanderais pas pardon de souffrir autant que vous, d’être horrifié
comme vous, d’être prostré comme vous. Je ne vous demanderai pas pardon parce
que je suis votre semblable, animé par la même révolte.
Ces
invertébrés ont voulu tuer la liberté d’expression et façonner l’islam à leur
folie. Je ne les suivrais dans aucune de ces deux voies.
Le
débat n’est plus sur le bien fondé ou non des caricatures, vous ne
m’entrainerez pas ce sur terrain, et précisément c’est parce qu’il a débat sur
le bien fondé de ces caricatures, que c’est la liberté d’expression qui est en
jeu. Où serait alors l’enjeu de cette liberté si le sujet faisait l’unanimité ?
La
liberté de pensée, et de l’expression de cette pensée, trouve sa substantifique
moelle dans l’opposition de deux opinions contraires. Mes contradicteurs sont
les garants de cette liberté. En tuant ceux avec qui je n’étais pas d’accord,
ces terroristes de l’espèce humaine, viennent de me supprimer un pan de cette
liberté.
Je
ne vous demanderais pas pardon car nous sommes tous des êtres humains, et que
nos valeurs humaines communes peuvent cohabiter dans une expression différente.
C’est mon principe. Des gens ont été exécutés parce que, eux aussi, ont eux la
naïveté de le panser.