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lundi 26 mai 2014

Un matin dans le métro

La France se réveille ce matin dans un drôle d’état. Difficile de ne pas scruter chacun dans le métro et de ne pas se dire que sur les cent personnes qui m’entourent, cinquante n’ont pas voté, et 13 ont voté Front National. Où sont-ils ?

Ce monsieur assis à coté de moi en fait-il parti ?  Tunisien de père, Français de mère, citoyen des deux rives de cœur, je suis un peu différent du gaulois tel que vu par eux ; le peuple français « étant avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne ». (Jean-Marie Le Pen - septembre 2012 – Université d’été du FN)

Je tente de me rassurer. Jean-Marie Le Pen ment. Son mensonge, personne n’y croit vraiment. Tout le monde sait bien que le peuple français n’est pas que ça. Que rayonner sur le
monde pendant des siècles a attiré en son sein des personnes de couleurs, de cultures, de religions différentes. C’est même ce qui contribue à faire la richesse de ce pays, ce qui a contribué à son rayonnement… avant, et peut etre même aujourd’hui encore.

Et puis Le Pen c’est un provocateur. Enfin un provocateur qui est convaincu de l’inégalité des races. Je cherche dans ma rame de métro quel est celui qui peut-être convaincu par une inégalité des races. Je cherche et j’en trouve quelques uns. Parce que, finalement, ils sont nombreux à dire que, finalement,  Le Pen, il n’a pas complètement tort. Ils sont nombreux à tenter d’expliquer qu’il faut reconnaître que chaque race à sa spécificité. On a beau leur expliquer que ca ne veut rien dire, que la race ne donne pas un caractère. Que la même race on l’a fait naitre, grandir et évoluer ici ou là, l’individu ne sera pas le même.

Provocateur, à bien y réfléchir, je ne sais pas. En passant par la station Bir Hakeim, je repense à l’occupation et à sa lecture par le même Jean-Marie Le Pen- qui- n’a- pas-complètement-tord et qui disait je cite, « que l’occupation allemande n’avait pas été particulièrement inhumaine, même s’il y a eu des bavures, inévitables dans un pays de 550 000 kilomètres carrés ». Je ne peux m’empêcher de penser qu’on a dépassé le stade la provocation.

Je continue à chercher ses électeurs dans ma rame de métro. Ca me torture, l’inégalité des races me taraude, propos que Jean-Marie Le Pen a eu l’outrecuidance de tenir à l’hôtel lutetia (le 12 octobre 1996) ce  haut lieu de la torture et des heures les plus sombres de notre Histoire. Et là, me revient en pleine figure le rôle joué, pendant la guerre d’Algérie par un Jean-Marie qui assume « j’ai torturé parce qu’il fallait le faire. Quand on vous amène quelqu’un qui vient de poser vingt bombes qui peuvent exploser d’un moment à l’autre et qu’il ne veut pas parler, il faut employer des moyens exceptionnels pour l’y contraindre ». (Combat – 9 novembre 1962). Sauf que personne n’a posé vingt bombes, et surtout les gens torturés étaient souvent et surtout des innocents, indépendantistes, mais sans sang sur les mains. Et ma famille en sait quelque chose.

C’est sur que quelqu’un qui considère que la torture est une action légitime peut trouver que l’occupation n’était si inhumaine. Torturez quelqu’un, il aura toujours quelque chose à avouer.

J’ai presque envie de hurler dans ce métro. Même désabusé, même au bout du rouleau, qui ici a voté pour ceux là ? Déçu par une gauche qui n’arrive pas à recréer l’équilibre social, désabusé par une droite qui n’a pas pu rétablir l’égalité des chances, abasourdi par un monde qui devient précaire, angoissé par une société où tout est éphémère, tout cela je le comprends, je le vis. Ne plus se reconnaître en aucun des partis traditionnel je le conçoit, ne plus croire en un avenir meilleur qu’ils ne cessent d’hypothéquer, je le vois, mais de là a considérer que le Front national puisse être un embryon de solution, c’est plus qu’un pas à franchir, c’est la méditerranée a enjamber et d’une seule foulée, que Jean-Marie, ne lui en déplaise, a franchi allègrement.

Alors quoi, les 4 millions d’électeurs du Front national adhèrent à ses thèses.

Ses deux là en face de moi, je suis sur qu’ils en sont. Ils me regardent de travers, avec mes cheveux bouclés. Et puis je viens de répondre en arabe au téléphone. Oui c’est certain j’en tiens deux. Certitude de courte durée. A la station suivante, l’un descend, l’autre reste, les deux s’embrassent langoureusement sur la bouche pour se dire au revoir. L’homosexualité n’est pas un délit, mais elle constitue une anomalie biologique et sociale professe ledit Le Pen (13 février 1984).

Le 20 février 2007 il réitère et déclare que dans le Marais de Paris, on peut chasser le chapon sans date d’ouverture ou de fermeture, mais dans le marais de Picardie, on ne peut chasser le canard en février. »

La messe est dite. Les fours crématoires sont un détail de l’Histoire de la seconde guerre mondiale la torture est légitime, l’occupation n’était pas inhumaine, les races sont inégales, les sidaiques qui mettent en cause l’équilibre de la nation sont une espèce de lépreux en phase terminale, l’homosexualité est une tare génétique. Les roms ont une présence urticante et odorante (4 juillet 2013), et 200 millions de musulmans sont à nos frontières pour nous absorber, aborder, saborder c’est selon le calendrier électoral.

Voilà c’est ça Le Pen. Et dans mon métro il y a 13% de gens qui ont voté pour le Front National. Et la moitié qui s’en fout.

Je descends à la station Franklin Roosevelt, ça devient étouffant. Et je me remémore mon dernier voyage à New York, et toutes ces petites échoppes de hot dog à chaque coin de rue, tous devenus Hallal il y a cinq ans, sans qu’aucun new yorkais n’y retrouve à redire. Pour deux Quick, la France s’embrassa.

Les mêmes qui 15 ans plus tôt ont reçu deux avions dans deux tours et pour lesquels Le Pen, encore, déclarait, toujours, « quand on me dit qu’il y avait trois mille morts dans la « tour infernale », et qu’on n’a trouvé que trois cents cadavres, je me dis qu’il en manque deux mille sept cents. »

Les gens savent tout ca, et pourtant ça ne change rien, pire ça empire. A chaque élection nous avons le droit  à la sempiternelle percée du front national pourtant bien installé. Toujours les mêmes qui, d’un ton grave, prennent acte de ce message grave. Et deux semaines plus tard, une information encore plus grave nous fera oublier le message grave des électeurs gavés.

Ils ont compris le message clair à chaque élection mais pourtant chacun y va de son intérêt personnel avant l’intérêt général, quand ils pensent à l’intérêt général. Je parle des affaires et je n’ai même envie de les énumérer, c’est débectant, surtout en période de déclaration d’impôts.

Deux semaines qu’on nous bassine avec la sœur de Mohamed Merah pour savoir si elle est partie en vacances se dorer la pilule, ou en Syrie se faire exploser la pilule.  S’ils avaient mis autant d’acharnements à retrouver les millions mis hors la vue par Cahuzac, nous n’en serions pas là.

On nous dit que le déficit de 50 milliards serait comblé s’il n’y avait pas de fraude fiscale et de travail au noir. Mais faute de mettre la main dessus, le petit contribuable mettra la main à la poche. Ce n’est pas la même, mais c’est tout aussi efficace. Les grands groupes délocalisent pour payer la main d’œuvre moins chère dans des pays où les droits des salariés sont gratuits, mais c’est plus difficile pour une famille de délocaliser ses taches ménagères ou la garde de ses enfants.

Ainsi certain que les familles ne feront pas garder leurs bambins en near shore, on va réduire leurs abattements fiscaux, parce que les familles, ca se sauraient si elles faisaient de l’optimisation fiscale. Vous avez déjà un département fiscal à domicile.

En somme, ce sont toujours les mêmes qui doivent payer, ce sont toujours les mêmes à qui ont fait peur, ce sont toujours les mêmes qu’on précarise, et les donneurs d’ordres de tout ça sont également et toujours les mêmes.

Alors c’est peut être étonnant que ceux là se tournent vers le front national, c’est étonnant mais finalement pas surprenant. C’est la solution de facilité, mais n’ont-ils pas droit aussi, ne serait-ce que sur leurs votes, à la facilité.

Au risque de surprendre, je reste persuadé que la solution pour la France vient de la France, d’une partie de la population française, des français de branches. On veut bien aider, mais pour ça, il faudrait qu’on puisse être des citoyens à part entière. Je sais c’est compliqué électoralement de faire ça, ca pourrait créer une percée du front national.

Définitivement, je pense que quelqu’un a coupé le courant des Lumières en France.



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