Voilà que le débat qui agitait jusque là l’occident,
et qui concernait le bien fondé de l’action militante des FEMEN, se servant de
leurs seins comme d’une banderole en plastique silliconé, voilà donc que ce débat là
s’est transporté, a migré, sans papier ni visa, vers … la Tunisie. Ce n'est pas assez compliqué comme ça en Tunisie, les cerveaux commençaient à se scléroser, il fallait raviver un peu tout ça.
Inutile
de revenir sur les actions d’Amina en Tunisie, les articles, commentaires et
commentaires de commentaires ont inondé le web, la presse, la télé, la radio,
les salons, les bus, et surtout la
mecque du débat en Tunisie, les taxis. Rappelons juste qu'au départ il s'agit d'une demoiselle qui publie une photo, seins nues, sur sa page facebook avec un slogan tatoué sur la poitrine. Rappelons donc qu'il
s'agit juste d'une photo sur facebook au départ. J'ai du coup vérifié toutes mes photos de plages.
s'agit juste d'une photo sur facebook au départ. J'ai du coup vérifié toutes mes photos de plages.
En
France, le débat sur fond de morale républicaine laïque divise sur le mariage
pour tous et laisse perplexe sur l’action de FEMEN. Mais somme toute, les
sujets sont sinon proches, en tout cas connexes. Liberté dans le mariage, liberté du corps ... bref, je ne sais pas, mais intuitivement ça me parait connexe. En tout état de cause, ces deux débats ne nécessitent pas un écart délirant dans l'organisation de la pensée.
En
Tunisie, il faut faire preuve d’un peu de schizophrénie, puisqu’en même temps
qu’on doit débattre de l’exhibition de seins comme outils de militantisme, il
faut aussi réfléchir au modèle laic tunisien a mettre en place, à la place de
la charia dans nos institutions, et au rôle de l’islam dans la hiérarchie des
normes. Autant vous dire que l’exercice est difficile. En schématisant, il faut argumenter entre
seins nus d’un coté, et burka de l’autre. Quand je vous dis que ce pays est
magique et cultive les paradoxes...
Alors
oui, certains, nombreux même, critiquent Amina en particulier, et les FEMEN en général, qui viennent jeter
le trouble sur un débat déjà compliqué, la laïcité à la tunisienne. Débat où
les conservateurs ont beau jeu maintenant de dire, que si la laïcité c’est ça,
si la démocratie républicaine laïque dans son fonctionnement, et musulmane dans
son principe, bref si laïcité à la tunisienne, ou l’islam à la tunisienne,
c’est pour avoir des femmes qui manifestent seins nus, au temps pour cette
société là, gardez votre conception de la laïcité. Les progressistes, si c'est ça votre progrès, on n'en veut pas disent-ils. Et Amina et les FEMEN se retrouvent ainsi avec aussi les progressistes sur le dos.
Voilà
ce que répondent par raccourci les conservateurs, mais pas seulement eux,
une bonne partie de la société aussi. Voilà ce que conçoivent ceux respectueux
d’une certaine tradition, celle qui consiste notamment à ce qu’une femme ai
autant de droits qu’un homme, mais comme l’homme, pas celui de s’exhiber nu sur
la place public. D’autres considèrent que le débat est inutile. Trop tot.
Déplacé. Pas le moment. Pas encore. Inutile. Vain. Ridicule. Et au final on est tous à peu près d’accord
pour dire qu’en tout état de cause, cette action militante là ne sert pas la
cause qu’elle défend. Au contraire.
Et
finalement, en Tunisie, nous nous retrouvons à devoir trancher, après deux
petites années seulement de débridage de la pensée politique, nous devons nous
prononcer donc sur les frontières des moyens de l’action militante. Débat non
tranché par exemple en France, qui a fait sa révolution en … 1789, il y a soit
presque 250 ans.
Oui
j’ai lu ça. Parce que constater que d’autres n’y arrivent pas, ça justifient
qu’on n'essaye pas.
Rajoutons là-dessus la récupération par Caroline Fourest d'un combat qu'elle considère comme le sien aussi et qui justifie qu'elle écrive, bien calée au fond du canapé de son salon parisien que "le peuple tunisien veut faire la sourde oreille, l'aveugle et le muet à la fois", et là, la coupe est pleine. Au passage, Madame Fourest, nous vous remercions de ne pas venir juger de la surdité, de l'aveuglement, du mutisme de tout un peuple. Nous vous demandons de cesser d'accuser tout un peuple de lâcheté, quand ca vous prend, en fin de soirée, après un diner au Coste et avant une sortie dans une de ces soirées parisiennes que vous affectionnez tant, ou avant de vous rendre sur un plateau télé où vous vous auto congratulez tant. Facile pour vous de juger de la dignité d'un peuple, drapée dans votre confort, quand votre question principale vers 20 heures c'est quoi bouffer, alors que pour d'autres, c'est comment bouffer. Quand vous vous demander ce que vous ferez de votre vie le lendemain et que d'autres se demandent comment ils vont faire pour vivre le lendemain. Parenthèse fermée. Au revoir Madame Fourest. Exprimez-vous si vous voulez sur le sujet, mais inutile d'accuser tout un peuple sauf à être complètement mégalo Madame.
Reprenons.
Ici au bistrot, on n’a pas de réponses. Mais juste, comme ça, quelques pistes
de réflexions qu’on vous livre tout de go, mais à prendre pour ce qu’elles
sont, des réflexions de comptoirs.
Soyons
pragmatique.
Principe :
le militantisme est un acte de liberté. Chacun est donc libre de militer pour la
cause qu’il souhaite. Cette liberté est un des éléments constitutif de la liberté d'expression.
Limites :
elles sont doubles et tenant tant à la cause défendue et qu’aux moyens de
militantisme utilisés. Ainsi l’un comme
l’autre ne doivent pas notamment, contrevenir
à
l’ordre public,
à
l’intérêt général,
aux
bonnes mœurs.
Cette
limitation est faite au nom du bien-vivre ensemble, du principe selon lequel
notre liberté s’arrête là où commence celle des autres.
Il y
a vingt siècles d’écrits là dessus, je vous y renvoie et tenons-nous pour
acquis donc ce principe et ces limites
Voilà
le chapeau posé. Maintenant l’homme dans sa grande sagesse doit intervenir
pour orchestrer tout ça, pour poser le curseur de ces principes. Et c’est là
que ça se complique. Déroulons la demonstration.
La
cause du combat des FEMEN ne contrevient ni aux bonnes mœurs, ni à l’ordre
public, ni à l’intérêt général. Convenons-en également. Droits de la femme,
liberté de la femme, égalité homme/femme. Ces combats sont nobles, il n’y a
rien à redire là dessus.
La
cause étant acquise comme juste, attelons-nous aux moyens d’expression : Montrer
ses seins.
L’intérêt
général ne semblant pas en être menacé, il ne nous reste alors que l’ordre
public et les bonnes mœurs.
Et
la substantifique moelle du débat devient « exhiber ses seins au soutien
d’une cause juste est-il un acte de militantisme qu’il convient de punir pour
atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ? ».
En
somme doit on limiter la liberté de militer lorsque ce militantisme consiste à
exhiber ses seins, au motif que cela constitue une atteinte suffisamment grave
aux bonnes mœurs ou à l’ordre public ?
Détaillons
un peu plus.
Peut-on
limiter la liberté d’expression lorsqu’elle consiste à défendre une cause en
montrant ses seins ?
Détaillons
encore.
Est
ce que montrer ses seins comme moyen d’expression est un acte suffisamment
grave pour qu’il puisse justifier une limite de la liberté d’expression ?
Alors ?
on fait quoi ? on la limite la liberté d’expression ? On considère
que montrer ses seins est trop grave, et que ça justifie une mesure aussi
importante qu’est la limitation de la liberté d’expression ? Attention, il
ne s’agit plus de répondre sur le bien fondé ou pas du moyen d’action. On a
bien dit qu’il était limite et qu’il ne servait pas forcément la cause. Non, la
question est, doit-on interdire ce moyen d’expression.
Oui,
parce que n’oublions pas que montrer leurs seins, pour les FEMENS, constitue
qu’on le veuille ou non, un attribut de la liberté d’expression. Quand bien
même cette expression passe par le corps, c’est un moyen d’expression.
Alors ?
Libre ou pas le moyen d’expression par les seins ?
Allez,
un dernier référentiel pour que vous puissiez trancher la question. Bronzer
seins nus sur la plage, c’est toléré. Donc pour respecter la liberté de
bronzage, on admet qu’on puisse se mettre seins nus sur la plage. Doit on, par
analogie, appliquer la liberté de bronzage à la liberté d’expression ?
Toute la question est là.
Et une fois tranché ce débat, peut-on commencer à songer aux préoccupation de survie d'un peuple ? On a liberé Youtube en Tunisie, nous sommes en passe de libérer les seins, peut-être pouvons-nous nous attarder ensuite à libérer les démunis de l'avilissement par la faim, la dépendance, l'abattement et l'accablement ? Tous les combats sont certes utiles, mais j'ai l'impression que celui-ci, pourtant mené par certains, n'est pas beaucoup médiatisé. Hein Madame Fourest ?
Et une fois tranché ce débat, peut-on commencer à songer aux préoccupation de survie d'un peuple ? On a liberé Youtube en Tunisie, nous sommes en passe de libérer les seins, peut-être pouvons-nous nous attarder ensuite à libérer les démunis de l'avilissement par la faim, la dépendance, l'abattement et l'accablement ? Tous les combats sont certes utiles, mais j'ai l'impression que celui-ci, pourtant mené par certains, n'est pas beaucoup médiatisé. Hein Madame Fourest ?
Mise à jour suite au jugement du 12 juin 2013 condamnant les Femens à 4 mois de prison ferme.
Voilà donc que le débat de fond sur les modes d'expression de liberté éponyme glisse également vers une problématique de liberté publique, en intégrant le sujet de la proportionnalité de la peine.
Les magistrats qui ont rendu cette sentence considèrent donc que la liberté d'expression trouve sa limite notamment dans l'atteinte aux bonnes moeurs, lorsque l'atteinte caractérisée par l'exhibition de ces seins. Mais loin de se satisfaire du principe, déjà osé, qui consiste a restreindre la liberté d'expression sous pretexte que des seins ca choque, le tribunal va plus loin, puisqu'il considère que l'acte est d'une gravité telle, qu'il nécessite une privation de liberté de quatre mois. Et l'atteinte aux bonnes moeurs, je le rappelle caractérisée au cas d'espèces par de simples seins, constitue un tel trouble à l'ordre public qu'il justifie un isolement de la société, une mise en quarantaine de 4 mois.
Proportionnalité de la peine inadéquate. Sauf a considérer que la Tunisie est devenue une société traditionaliste conservatrice puriste et que montrer ses seins qui place le curseur de cet acte à la limite du délictuel et du criminel.
Proportionnalité de la peine inadéquate. Sauf a considérer que la Tunisie est devenue une société traditionaliste conservatrice puriste et que montrer ses seins qui place le curseur de cet acte à la limite du délictuel et du criminel.
Entre une relaxe et une condamnation de principe, il fallait integrer la possibilité d'une peine exemplaire... et le délit est donc considéré comme grave. Et c'est grave.
Je ne soutenais pas particulièrement les femens, ni les condamnais, le sujet m'échappait. Désormais cette cause est une cause de liberté publique, désormais le sujet est "quel société nous voulons pour la Tunisie". Désolé pour cette intrusion du je, mais mon moi parfois s'émeut. Et là c'est le cas. Avec émoi.
Juste un petit détail : J'ai du mal avec le parallèle entre manifester en exhibant ses seins et bronzer seins nus sur la plage. En effet, les bonnes moeurs sont très relatives au contexte spatio-temporel.
RépondreSupprimerUn exemple encore plus simple : se promener en bikini en centre ville.