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mercredi 29 mai 2013

Femen, youtube et autres libertés.



Alors FEMEN ou pas FEMEN ? 

Voilà que le débat qui agitait jusque là l’occident, et qui concernait le bien fondé de l’action militante des FEMEN, se servant de leurs seins comme d’une banderole en plastique silliconé, voilà donc que ce débat là s’est transporté, a migré, sans papier ni visa, vers … la Tunisie. Ce n'est pas assez compliqué comme ça en Tunisie, les cerveaux commençaient à se scléroser, il fallait raviver un peu tout ça.

Inutile de revenir sur les actions d’Amina en Tunisie, les articles, commentaires et commentaires de commentaires ont inondé le web, la presse, la télé, la radio, les salons, les bus, et surtout la mecque du débat en Tunisie, les taxis. Rappelons juste qu'au départ il s'agit d'une demoiselle qui publie une photo, seins nues, sur sa page facebook avec un slogan tatoué sur la poitrine. Rappelons donc qu'il
s'agit juste d'une photo sur facebook au départ. J'ai du coup vérifié toutes mes photos de plages.

En France, le débat sur fond de morale républicaine laïque divise sur le mariage pour tous et laisse perplexe sur l’action de FEMEN. Mais somme toute, les sujets sont sinon proches, en tout cas connexes. Liberté dans le mariage, liberté du corps ... bref, je ne sais pas, mais intuitivement ça me parait connexe. En tout état de cause, ces deux débats ne nécessitent pas un écart délirant dans l'organisation de la pensée.

En Tunisie, il faut faire preuve d’un peu de schizophrénie, puisqu’en même temps qu’on doit débattre de l’exhibition de seins comme outils de militantisme, il faut aussi réfléchir au modèle laic tunisien a mettre en place, à la place de la charia dans nos institutions, et au rôle de l’islam dans la hiérarchie des normes. Autant vous dire que l’exercice est difficile. En schématisant, il faut argumenter entre seins nus d’un coté, et burka de l’autre. Quand je vous dis que ce pays est magique et cultive les paradoxes...

Alors oui, certains, nombreux même, critiquent Amina en particulier, et les FEMEN en général, qui viennent jeter le trouble sur un débat déjà compliqué, la laïcité à la tunisienne. Débat où les conservateurs ont beau jeu maintenant de dire, que si la laïcité c’est ça, si la démocratie républicaine laïque dans son fonctionnement, et musulmane dans son principe, bref si laïcité à la tunisienne, ou l’islam à la tunisienne, c’est pour avoir des femmes qui manifestent seins nus, au temps pour cette société là, gardez votre conception de la laïcité. Les progressistes, si c'est ça votre progrès, on n'en veut pas disent-ils. Et Amina et les FEMEN se retrouvent ainsi avec aussi les progressistes sur le dos. 

Voilà ce que répondent par raccourci les conservateurs, mais pas seulement eux, une bonne partie de la société aussi. Voilà ce que conçoivent ceux respectueux d’une certaine tradition, celle qui consiste notamment à ce qu’une femme ai autant de droits qu’un homme, mais comme l’homme, pas celui de s’exhiber nu sur la place public. D’autres considèrent que le débat est inutile. Trop tot. Déplacé. Pas le moment. Pas encore. Inutile. Vain. Ridicule.  Et au final on est tous à peu près d’accord pour dire qu’en tout état de cause, cette action militante là ne sert pas la cause qu’elle défend. Au contraire.

Et finalement, en Tunisie, nous nous retrouvons à devoir trancher, après deux petites années seulement de débridage de la pensée politique, nous devons nous prononcer donc sur les frontières des moyens de l’action militante. Débat non tranché par exemple en France, qui a fait sa révolution en … 1789, il y a soit presque 250 ans.

Oui j’ai lu ça. Parce que constater que d’autres n’y arrivent pas, ça justifient qu’on n'essaye pas.

Rajoutons là-dessus la récupération par Caroline Fourest d'un combat qu'elle considère comme le sien aussi et qui justifie qu'elle écrive, bien calée au fond du canapé de son salon parisien que "le peuple tunisien veut faire la sourde oreille, l'aveugle et le muet à la fois", et là, la coupe est pleine. Au passage, Madame Fourest, nous vous remercions de ne pas venir juger de la surdité, de l'aveuglement, du mutisme de tout un peuple. Nous vous demandons de cesser d'accuser tout un peuple de lâcheté, quand ca vous prend, en fin de soirée, après un diner au Coste et avant une sortie dans une de ces soirées parisiennes que vous affectionnez tant, ou avant de vous rendre sur un plateau télé où vous vous auto congratulez tant. Facile pour vous de juger de la dignité d'un peuple, drapée dans votre confort, quand votre question principale vers 20 heures c'est quoi bouffer, alors que pour d'autres, c'est comment bouffer. Quand vous vous demander ce que vous ferez de votre vie le lendemain et que d'autres se demandent comment ils vont faire pour vivre le lendemain. Parenthèse fermée. Au revoir Madame Fourest. Exprimez-vous si vous voulez sur le sujet, mais inutile d'accuser tout un peuple sauf à être complètement mégalo Madame.

Reprenons.

Ici au bistrot, on n’a pas de réponses. Mais juste, comme ça, quelques pistes de réflexions qu’on vous livre tout de go, mais à prendre pour ce qu’elles sont, des réflexions de comptoirs.

Soyons pragmatique.
Principe : le militantisme est un acte de liberté. Chacun est donc libre de militer pour la cause qu’il souhaite. Cette liberté est un des éléments constitutif de la liberté d'expression.

Limites : elles sont doubles et tenant tant à la cause défendue et qu’aux moyens de militantisme utilisés.  Ainsi l’un comme l’autre ne doivent pas notamment, contrevenir
à l’ordre public,
à l’intérêt général,
aux bonnes mœurs.

Cette limitation est faite au nom du bien-vivre ensemble, du principe selon lequel notre liberté s’arrête là où commence celle des autres.  

Il y a vingt siècles d’écrits là dessus, je vous y renvoie et tenons-nous pour acquis donc ce principe et ces limites

Voilà le chapeau posé. Maintenant l’homme dans sa grande sagesse doit intervenir pour orchestrer tout ça, pour poser le curseur de ces principes. Et c’est là que ça se complique. Déroulons la demonstration.

La cause du combat des FEMEN ne contrevient ni aux bonnes mœurs, ni à l’ordre public, ni à l’intérêt général. Convenons-en également. Droits de la femme, liberté de la femme, égalité homme/femme. Ces combats sont nobles, il n’y a rien à redire là dessus.

La cause étant acquise comme juste, attelons-nous aux moyens d’expression : Montrer ses seins.

L’intérêt général ne semblant pas en être menacé, il ne nous reste alors que l’ordre public et les bonnes mœurs.

Et la substantifique moelle du débat devient « exhiber ses seins au soutien d’une cause juste est-il un acte de militantisme qu’il convient de punir pour atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ? ».

En somme doit on limiter la liberté de militer lorsque ce militantisme consiste à exhiber ses seins, au motif que cela constitue une atteinte suffisamment grave aux bonnes mœurs ou à l’ordre public ?

Détaillons un peu plus.

Peut-on limiter la liberté d’expression lorsqu’elle consiste à défendre une cause en montrant ses seins ?

Détaillons encore.

Est ce que montrer ses seins comme moyen d’expression est un acte suffisamment grave pour qu’il puisse justifier une limite de la liberté d’expression ?

Alors ? on fait quoi ? on la limite la liberté d’expression ? On considère que montrer ses seins est trop grave, et que ça justifie une mesure aussi importante qu’est la limitation de la liberté d’expression ? Attention, il ne s’agit plus de répondre sur le bien fondé ou pas du moyen d’action. On a bien dit qu’il était limite et qu’il ne servait pas forcément la cause. Non, la question est, doit-on interdire ce moyen d’expression.

Oui, parce que n’oublions pas que montrer leurs seins, pour les FEMENS, constitue qu’on le veuille ou non, un attribut de la liberté d’expression. Quand bien même cette expression passe par le corps, c’est un moyen d’expression.

Alors ? Libre ou pas le moyen d’expression par les seins ?

Allez, un dernier référentiel pour que vous puissiez trancher la question. Bronzer seins nus sur la plage, c’est toléré. Donc pour respecter la liberté de bronzage, on admet qu’on puisse se mettre seins nus sur la plage. Doit on, par analogie, appliquer la liberté de bronzage à la liberté d’expression ? Toute la question est là.

Et une fois tranché ce débat, peut-on commencer à songer aux préoccupation de survie d'un peuple ? On a liberé Youtube en Tunisie, nous sommes en passe de libérer les seins, peut-être pouvons-nous nous attarder ensuite à libérer les démunis de l'avilissement par la faim, la dépendance, l'abattement et l'accablement  ? Tous les combats sont certes utiles, mais j'ai l'impression que celui-ci, pourtant mené par certains, n'est pas beaucoup médiatisé. Hein Madame Fourest ?


Mise à jour suite au jugement du 12 juin 2013 condamnant les Femens à 4 mois de prison ferme.

Voilà donc que le débat de fond sur les modes d'expression de liberté éponyme glisse également vers une problématique de liberté publique, en intégrant le sujet de la proportionnalité de la peine.

Les magistrats qui ont rendu cette sentence considèrent donc que la liberté d'expression trouve sa limite notamment dans l'atteinte aux bonnes moeurs, lorsque l'atteinte caractérisée par l'exhibition de ces seins. Mais loin de se satisfaire du principe, déjà osé, qui consiste a restreindre la liberté d'expression sous pretexte que des seins ca choque,  le tribunal va plus loin, puisqu'il considère que l'acte est d'une gravité telle, qu'il nécessite une privation de liberté de quatre mois. Et l'atteinte aux bonnes moeurs, je le rappelle caractérisée au cas d'espèces par de simples seins, constitue un tel trouble à l'ordre public qu'il justifie un isolement de la société, une mise en quarantaine de 4 mois.

Proportionnalité de la peine inadéquate. Sauf a considérer que la Tunisie est devenue une société traditionaliste conservatrice puriste et que montrer ses seins qui place le curseur de cet acte à la limite du délictuel et du criminel. 

Entre une relaxe et une condamnation de principe, il fallait integrer la possibilité d'une peine exemplaire... et le délit est donc considéré comme grave. Et c'est grave. 

Je ne soutenais pas particulièrement les femens, ni les condamnais, le sujet m'échappait. Désormais cette cause est une cause de liberté publique, désormais le sujet est "quel société nous voulons pour la Tunisie". Désolé pour cette intrusion du je, mais mon moi parfois s'émeut. Et là c'est le cas. Avec émoi.

1 commentaire:

  1. Juste un petit détail : J'ai du mal avec le parallèle entre manifester en exhibant ses seins et bronzer seins nus sur la plage. En effet, les bonnes moeurs sont très relatives au contexte spatio-temporel.
    Un exemple encore plus simple : se promener en bikini en centre ville.

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