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dimanche 10 février 2013

Tunisie : le faux débat.


Mes chers ami(e)s journalistes,

Nous vous sommes très reconnaissants d’avoir couvert la révolution tunisienne et d’avoir ainsi aidé un peuple à se libérer du joug de son despote grâce à la pression qu’à représenté votre action. Couverture certes un peu tardive, mais qui pourrait vous le reprocher, quand une partie du peuple tunisien lui-même n’a réalisé que tardivement ce qui était en train de se produire.

Or, en ce moment la Tunisie traverse une crise politique majeure qui la
met de nouveau sous la focale médiatique. Nous ne prétendons pas ici au bistrot détenir le grand livre de la vérité, mais certains de vos postulats à partir desquels vous développez vos analyses, certaines de vos vérités sont des erreurs factuelles, des inexactitudes sur la donne politique.



Commençons par l’erreur.

Le pouvoir est aux mains des islamistes, et vous en avez déduit en le présentant comme une vérité, qu’à contrario les autres sont laïcs.

Puis vous avez franchi une nouvelle étape. Il existe un parti islamiste, alors les autres, à contrario sont laïcs.

En somme la société politique tunisienne se divise en deux catégories, les islamistes et les laïcs. L’histoire est belle et pour la parfaire, vous subdivisez les islamistes en trois courants, islam radical, islam dur et islam modéré. Les autres ? Les laïcs qui se sont associés aux islamistes et les laïcs qui ont refusé de s’associer avec les islamistes. Cut. Fin. C’est la photo. Maintenant on commente.

Hop hop hop. La photo n’est pas bonne. On y revient trois minutes. Et après on analyse si vous voulez.


Donc embrayons sur la réalité.

Sans rentrer dans tous les attributs du principe de la laïcité, l’un d’entre eux, cumulatifs avec d’autres, impose que l’état laïc n’ait pas de religion d’état.

Or, voyez-vous, la quasi totalité de la classe politique tunisienne s’accorde au moins sur un point concernant ce sujet, l’article 1 de la prochaine constitution devra à minima pour certains à maxima pour d’autres, mais nécessairement pour tous,  reprendre la formulation de l’ancienne constitution «  la Tunisie est un état libre …, sa religion est l’islam, sa langue l’arabe et son régime la république ».

La messe est dite, il n’y aucun, ou s’il y en a ils sont insignifiants, il n’y aucun parti politique laïc en Tunisie. Laïc au sens où vous l’entendez. Sens que vous nous faites entendre.

Certains veulent aller plus loin dans d’autres articles, en faisant référence au sacré, à la charia, d’autres veulent se contenter de cet article, le fait est que très peu, sinon personne, aujourd’hui et en l’état, ne veut sacrifier cette reconnaissance d’une religion d’état qu’est l’islam. Par conviction. Par nécessité. Par réalisme social. Chacun ses motivation, mais tous s’y accordent. Ou presque.


Finissons donc par l’analyse de cette réalité factuelle.

Et je sais que la tâche n’est alors pas simple, car il vous faut exprimer simplement un clivage qui, sans cette opposition, devient complexe. Et moins sensationnel.
Et pourtant. Il va bien falloir le faire.

Si ennahdha, le parti religieux arrive en tête des suffrages exprimés, ex æquo avec les indépendants qui n’auront eu aucun siège du fait du mode de scrutin, c’est principalement, mais certes pas exclusivement, parce que c’est un parti religieux. Donc pas un parti politique. C’est cette étape dans le raisonnement qui vous fait défaut. Or ce n’est pas le premier attribut, le religieux, qui est important. Le second, parti non politique, qui l’est bien plus.

La Tunisie sortant de 23 ans de dictature, voir 60 ans pour certains, le fossé entre la population et le politique était abyssal. La défiance à l’égard de tout ce qui était politique était à son paroxysme. A part son noyau dur d’électeurs, ennahdha a recueilli tous les suffrages de ceux qui exprimaient une méfiance farouche et compréhensible à l’égard de l’Homme politique. A l’inverse, l’Homme Religieux pensaient-ils ne trahira pas, ne volera pas, ne s’intéressera qu’à l’humain et au social, et ne sera pas avide de pouvoir, de postes, de fonctions. En somme cet Homme Religieux ne fera pas de politique.

Bien mal leur a pris, l’histoire a donné tort à ces électeurs là. Tout Homme qui fait de la politique, fait de la politique. Que sa doctrine soit religieuse ou politicienne. Mais passons, c’est une parenthèse.

En quelques dix huit mois, le premier ministre lui même oppose le parti religieux non pas aux laïcs, mais aux technocrates. Reconnaissant par là même l’incompétence de ses propres cadres, mais ça, personne n’a relevé. Mais passons également, c’est aussi une parenthèse.

En somme, le parti ennahdha est un parti qui a pour fondement l’Islam, les autres partis ont pour fondement des doctrines politiques. Aucun ne veut une laïcité au sens occidental du terme, pour la Tunisie. Même si le curseur de chacun varie sur l’implication du religieux dans l’organisation de la Société, tous ou presque s’accordent sur sa nécessaire présence.

Le rejet d’ennahdha par l’opposition, par des membres de sa propre coalition et par une partie de la population n’est pas lié à son caractère religieux. Il est pour certains lié à la position de ce fameux curseur du religieux, pour d’autres à l’incompétence de ses cadres et pour d’autres encore à son bilan catastrophique. Mais personne, ou très peu ne rejettent ennahdha juste parce que c’est un parti de croyants, parce que c’est un parti croyant. Ils le sont tous.

Il y a très peu d’athées dans la société tunisienne, et même ceux là ont une culture musulmane même si elle est indépendante de tout rite religieux. Culture qu’on appelle musulmane par erreur d’ailleurs, puisqu’il s’agit plutôt d’une culture à composante orientale, dont la Tunisie a développé ses propres spécificités du fait de son Histoire, de ses brassages, de sa position de carrefour sur le pourtour méditerranéen. Mais ça c’est un autre débat. Espérons déjà que celui du moment sur la laïcité est clos. Aujourd’hui. Il se posera sans doute un jour, il se posera probablement à un moment, comme il s’est déjà posé. Mais là, en ce moment, ce n’est vraiment pas le sujet. Le clivage n’est pas là. Le choix n’est pas à ce niveau. La demande populaire n’est pas celle-là. Même si c’est celle que vous souhaitez.  Même si c’est celle qui vous voulez. Même si c’est celle que vous comprenez.

Et finalement, quelque part, je me demande si ce n’est pas vous qui êtes plus portés sur la question religieuse que nous, parce que le débat religieux vous le voyez partout, vous le voulez partout.

7 commentaires:

  1. merci.enfin c'est dit.

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  2. very good article; it's high time that we get over this debate which is totally beside the objectives of the tunisian revolution

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  3. Français suivants les affaires tunisiennes depuis plusieurs années, je suis en plein accord avec cette mise au point. Un sondage récent révèle que 70% de l'opinion française considérerait l'islam comme incompatible avec la République. Plus de 60% parmi les sympathisants du Front de Gauche ! La France n'a de cesse depuis plusieurs années que de remâcher son obsession du danger que l'Islam représenterait pour sa laïcité. On pensait cette obsession limité à la droite sarkozyste, aux conservateurs. Il n'en est rien. La gauche social-libéral (les bobos pour faire vite) lectrice de Libération semble ne pouvoir maintenant analyser l'évolution de la société française, en terme de liberté publics, qu'à l'aune de cette menace fantasmé (fantasmé car, quoi qu'on en dise, bien malin le français qui est capable de citer un seul exemple de mesure adopté sous la pression des islamistes et qui irait à l'encontre de la laïcité). Et comme toujours, les Français, phares ultimes de la modernité et de la liberté ne sauraient analyser les évolutions du monde sous d'autres lumières que ses propres obsessions franco-centré. Il n'y a pas pire myope que celui qui ne veut pas s'acheter de lunette (quand bien même la deuxième paire serait offerte)

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  4. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  5. Merci pour cet éclairage nécessaire.

    Chacun a tendance à regarder l'actualité par le prisme de son Histoire. Il est difficile de changer de prisme et, à l'évidence, le prisme tunisien n'est pas le prisme français.

    La France a gagné sa liberté en séparant l'Eglise, les religions, et l'Etat. D'où cette association forte que les français font entre liberté, république et laïcité.

    En Tunisie, si je vous comprends bien, la religion est (ou était jusque-là) synonyme de résistance et de probité.

    La relation de la France à la Tunisie n'est plus paternaliste, mais elle reste affective. Pour le français que je suis, la révolution tunisienne est un espoir. Espoir que j’ai eu l’honneur de partager, durant le renversement de Benali puis les élections, avec une tunisienne qui m’a beaucoup marquée. L'espoir qu'une Tunisie éduquée et éclairée pourra montrer qu'une démocratie, garante des libertés fondamentales pour tous, hommes comme femmes, est compatible avec une culture musulmane et orientale.

    Le placement de ce curseur nous inquiète, pour vous. Que la présence de l'Islam soit rendue nécessaire par votre prisme, c'est compréhensible. Mais que ce curseur soit placé de telle façon qu'il prive les tunisiens, et en particulier les tunisiennes, de leurs libertés fondamentales, ça nous fait peur et ça nous fait mal. Que des femmes si libres, brillantes et intelligentes que les tunisiennes puissent être considérées par certains comme « complémentaires de l’homme », cela nous heurte dans notre prisme, surtout quand ces tunisiennes sont personnalisées au quotidien par des personnes que l’on apprécie et que l’on respecte.

    D’où le reflexe que l’on a de soutenir, peut être parfois avec trop d’empressement et de maladresse, les partis et les personnes qui positionnent ce curseur d’avantage du côté du respect des libertés fondamentales dans l’écriture de votre constitution. Ces partis que je ne commettrais plus l’erreur d’appeler laïcs.

    Votre prisme, votre histoire, votre culture, défendez les bec et ongles. Contre les maladresses intrusives de la France, mais également contre des influences extérieures qui essayent insidieusement de vous imposer un Islam qui n’est pas et n’a jamais été le vôtre, à coup de pétrodollars.

    Une chose est sûre, on n’impose pas la démocratie de l’extérieur. Et faire pression de manière passionnée mais maladroite, surtout venant d’une ancienne puissance coloniale, c’est desservir les intérêts de ceux qu’on aimerait soutenir, en donnant du grain à moudre à leurs opposants. La solution pour faire naître une démocratie qui respecte les droits fondamentaux, compatible avec une culture musulmane et orientale, c’est aux tunisiens de l’inventer en écrivant leur constitution. Et nous devons leur faire confiance pour cela.

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