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vendredi 14 septembre 2012

Un film et pas beaucoup de possibilités



Il y a des jours où l’on souhaiterait avoir une plume aiguisée comme un rasoir, parce que la frappe qu’on souhaite opérer doit être celle du chirurgien.

Voilà le monde musulman soulevé par une nouvelle vague de violences provoquée par la découverte d’un trailer de film, en ligne pourtant depuis le 2 juillet, mais qui ne fait le « buz » que maintenant. Et le « buz » c’est précisément ce que recherchait son réalisateur, Sam Bacile, dont on n’est pas certain de l’identité, en dépeignant le prophète comme un obsédé sexuel, doublé d’un crétin pas tenté. Nous avons vu au Bistrot ses 14 minutes ignobles, réalisées par un psychopathe tout aussi ignoble.

Et nous, pauvres de nous, face à cette vague d’insultes, d’humiliations, de vexations, nous, enfin certains d’entre nous, avons répondu par la violence. Brulant ici le drapeau des Etats-unis, organisant là  des
manifestations des haines, allant même jusqu’à tuer le malheureux ambassadeur américain en Lybie.

Un dingue fait un film à fin de récupération politique, des dingues lui répondent par une violence inouïe à des fins de récupération tout aussi politique.

Alors pour faire court, qu’entendrons nous dans les prochains jours ? Ben que oui, ce film est ignoble, mais que quand même, les réactions de grandes violences montrent bien que c’est un peuple violent, une religion violente, des pratiques violentes, que disons-le, l’islam est un danger.

Gagné pour le réalisateur, gagné pour le producteur, gagné pour les financiers du film. L’ignominie du film se retrouvera entre deux virgules des prochains articles qui traiteront du caractère totalement excessif des musulmans du monde. On va dévier sur les salafistes, c’est eux qui feront le plus de bruit, on passera par les frères musulmans,  c’est eux qu’on verra le plus. Un peu de tarik Ramadan, quelques jeunes excités aux discours aiguisés comme la lame de l’épée djihadiste, quelques prêches de prédicateurs qui seront filmés à caméra cachée appelant à la haine de l’occident, de l’impies, du koffar, et le tour est joué.

Cent milles ? allez, deux cents milles furieux vont profiter de cette occasion, de ce film pour aller chercher à créer un peu de radicalisme, tenter de ramener à eux ces gens qui se sentent déjà malmenée par une opinion publique malmenante, dans leurs croyances, dans leurs cultures.

Et puis un milliard et demi de musulmans vont se terrer chez eux, vont se terrer dans leur foi, vont se terrer dans leur culture, la peur au ventre d’être encore plus stigmatisé, la honte portée sur leur front, honte de ce film, honte de ces réactions.

Condamner ce film, et vous serez perçu comme affreux extrémiste qui en veut à la liberté de parole, à la liberté d’expression, à la liberté tout court car l’islam nous vend t-on depuis des années, est contre la liberté.

S’en foutre de ce film, passez moi l’expression, est vous serrez banni des vôtres, parce qu’il y a forcément un des vôtres qui appellera à la réaction, à la suréaction.

Alors où est la solution ? Dans l’image probablement. Aussi dans l’image, pas seulement dans l’image, mais aussi dans l’image. L’islam n’a pas de clergé, n’a pas d’équivalent Pape, n’a donc pas de porte- parole. Et dans la cacophonie qui s’ensuit, la stigmatisation des musulmans, ou pas, la perception des réactions des musulmans à ce film dépendront de ce que la presse, de ce que les médias nous donnerons à « bouffer ». Sans doute que la violence est plus vendeuse que la pondération. Sans doute que l’excès est plus attrayant que la modération.

La manière est perfide mais elle fonctionne. Les islamophobes ne montrent pas l’islam, ils nous montrent ce qu’ils provoquent. Ils cherchent une réaction auprès de ceux qui cherchent à réagir. Les islamophobes et les intégristes se nourrissent l’un de l’autre, existent l’un par l’autre, travaillent l’un pour l’autre.

Et autour, un milliard et demi de téléspectateurs, hagards, blessés, terrés qui aimeraient bien parler, mais le son de la tribune est coupé, seuls ceux dans l’arène s’expriment, et pour y être dans l’arène, il faut aimer le gout du sang, il faut aimer le gout de la haine.

Soyons plus malins. Réagissons car il faut réagir et nous ne pouvons pas tolérer de nous laisser trainer dans la boue ainsi. Mais réagissons dignement, réagissons avec notre cerveau, réagissons dans l'esprit de l'islam, c'est à dire dans la paix, dans la mesure, dans la tolérance. Ni les Etats-Unis ni personne d'autre que la bêtise n'est responsable de ce film. Et à la bêtise, réagissons pas l'intelligence. Que tous ceux qui ont une plume, un clavier, une feuille écrivent, réagissent, qu'un soulèvement mondial de mots se fasse pour expliquer ce qu'est l'islam. Que chaque musulman prenne par la main un juif, un chrétien, un athé, et qu'il en fasse ses frères. Parce que c'est possible, parce que c'est déjà le cas. Mais montrons le, montrons leurs.

Je vous le dit comme je le pense, ce film est une merdre. Un telle merde que je ne m’y reconnais pas, que je n’y reconnais pas l’islam, que personne du reste ni reconnaît l’islam. Personne sauf les islamophobes. Personne sauf ceux qui ne connaissent pas l’islam. Donc ce film, finalement, je n’en parlerai même pas. Mais je crois que c’est trop tard. Encore une fois. Une nouvelle fois.

On ne pourra régler le problème de la stigmatisation de l’islam que lorsqu’on permettra à des gens normaux d’en parler normalement. Passage non suffisant mais nécessaire.

Alors ce n’est pas ce film que je n’ai pas envie de voir, ce sont tous ceux qui vont se bousculer dans la presse, sur les plateaux télés, tous ceux qui seront invités à venir débattre de cet islam radical, et qui poseront le débat où il ne doit pas être posé, qui réagiront à ce qui ne mérite pas de réaction et qui oublieront l’essentiel du message, un appel à la paix. Ne regardez pas ceux qui s’agitent, regardez ceux qui sont calmes. Ne nous englobez pas avec ces qui s’agitent, vous obligez certains calmes à devoir les défendre. Je voulais manifester pacifiquement contre ce film. Mais où le faire, comment le faire ? Tout a récupéré, bipolarisé. choisis ton camp. Contre le film ? Donc contre les américains, contre l'occident, contre tout ce qui n'est pas islam. Mais moi je voulais manifester parce que je contre contre les cons. parce que je suis contre la violence, qu'elle soit physique, ou qu'elle soit morale (et ce film est une violence morale)

Ma culture est belle, elle invente le zéro ma culture, elle franchit les alpes à dos d’éléphant, elle est poète ma culture, elle est riche et raffinée ma culture, elle s’est battue à vos cotés quand il le fallait,  elle a fait la révolution du jasmin ma culture. Elle a construit des pyramides ma culture. Elle est le berceau de l’humanité. Elle est Avicenne, elle a créé l’inconnue en mathématiques, elle a su résoudre des équations du troisième degré. Le reste, les dérives, ce sont des imposteurs, ils se présentent comme étant de ma famille mais c’est faux. Ne les croyez pas, ne les croyez plus, ne les écoutez pas, ne les écoutez plus. Laissez moi vous le dire. Laissez moi vous le répéter. Laissez nous vous montrer. Regardez.

13 commentaires:

  1. Poignant et extrêmement rempli d'émotion. Jusqu'à l'étouffement oserai-je dire. Le dernier paragraphe m'a achevée, car je l'ai trouvé presque désespéré. Un désespoir qu'il m'arrive de ressentir, ces derniers temps. De plus en plus souvent.

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    1. Merci, merci, merci infiniment. le désespoir nous gagne quand nous ne voyons plus d'alternative, quand le chemin emprunté est le mauvais, que la croisée est derrière nous. Baissons la tête, avancons par petits pas. Chaque petite victoire sera une victoire. Puis un jour on relevera la tête, on verra la montagne franchie derrière nous. Et on se dira, "heureusement que je n'ai pas levé la tête, je me serai rendu compte que c'est impossible à franchir, et je ne l'aurai pas fait".

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  2. Le bon sens est dans la mesure, l'équilibre, mais les excès sont plus attrayants, et les médias, mais nous aussi, en raffolons d'avantage.

    La solution, comme pour tant de problèmes par ailleurs, est dans le dialogue, comme tu le dis, mais les gens sont sourds lorsqu'il s'agit d'écouter, aveugle, lorsqu'il s'agit de voir. Nos certitudes sont tellement ancrées en nous que même devant les faits nous refusons de réviser notre jugement.

    Le tout allègrement alimenté par des médias qui ont bien souvent oublié leur rôle d'analyse, et des politiques qui se nourrissent de ces histoires pour entretenir la peur et la fracture.

    Bien que cousins, tu sais que je ne partage pas ce pan de ta culture, mais je te soutiens dans ta "croisade" ( le mot ne peut être plus mal choisi).

    PS: y a quelques coquilles qui se promènent dans ton texte ;)

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  3. Poignant, oui.Je ne suis pas musulmane et pourtant je ressens ce désespoir aujourd'hui aussi. L'humanité a perdu encore un peu de son essence aujourd'hui. Ce n'est plus une ornière dans lequel le monde est plongé, c'est un gouffre.......et il va falloir beaucoup d'énergie positive, comme vous en déployez là, pour en sortir. Respect Monsieur Guellaty, et courage aussi.

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    1. merci beaucoup. A force de le repeter, à force de le dire, plus de voix vont s'elever, et on va y arriver. on va y arriver parce que nous n'avons tout simplement pas le choix.

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  4. Votre dernier paragraphe est juste magnifique ... et profondément représentatif de la Tunisie de toujours, mon pays de coeur, que j'apprécie, visite et aime depuis 33 ans.

    Les c... remporteront peut-être quelques succès faciles mais ils ne triompheront pas !

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    1. merci infiniment. Ce pays est un pays de coeur parce que c'est un pays qui vous aime dès qu'on y met les pieds. c'est un pays si particulier, qui vous prend aux trippes avec cette manière si particulière.

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  5. Poignant, sincère et vrai... Je voudrais que cet article ne fut pas qu'un cri dans le silence, un cri dans le sésert. Malheureusement les temps sont aux phares des médias de masse qui n'éclaire que là ou ça s'agite. Quand on nous parle d'une de nos villes de province, on nous parle uniquement des faits divers crasseux, en oubliant de préciser que y'a pas tout à fait que ça. Là c'est un peu pareil : on nous montre ceux qui se déchainent, mais qui se donnera la peine de nous expliquer l'Islam et ses nuances ? parce que l'Islam n'est pas entité indivisible comme je dis toujours, et cet islam qu'on nous montre c'est celui qui est plus politique que religieux. Un peu comme si on réduisait le christianisme à l'Inquisition sans parler des Saint Vincent, Saint François ou des prêtres ouvriers par exemple. Bonne chance pour votre lutte.

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  6. Incroyable article, mêlant habilement l'émotionnel et le rationnel, preuve que les deux peuvent cohabiter et nous emmener vers le meilleur. Cette soit-disant guerre de civilisation vendue à grand coup de médias depuis une décennie maintenant me rapproche chaque jour un peu plus de ceux que l'on stigmatise de façon aussi brutale et simpliste. Mais combien tomberont dans le piège? Jusqu'où iront-nous dans la folie? L'auto-proclamé monde "libre et civilisé" est devenu un monstre autoritaire et mafieux, fort des armées les plus puissantes du globe.
    Courage, tout n'est pas perdu. Mais le temps presse.

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  7. Merci pour ce billet, je crois que vous avez tout résumé. Le sentiment de tous ces musulmans pensent, toute cette tristesse de voir leur croyance récupérée à droite à gauche, détournée, détruite, et tous ces fidèles qui ne disent rien, qui observent, n'osent parler, mais souffrent.

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  8. Merci pour le billet !
    Pourriez-vous me dire quelle attitude un bon musulman ("bon" suivant vos critères car je ne m'y connais pas grande chose) adoptera face à un non-musulman qui se moque de son prophète ? Pour les âmes sensibles: je tiens à préciser que je pose cette question par curiosité et de facon sincère. Je ne cherche aucune provocation.

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  9. Je suis d'accord avec une grande partie de ton billet Karim, il serait difficile de ne pas l’être d'ailleurs.

    Cependant, il y a une chose sur laquelle j'aimerai que tu m'éclaires : tu sembles lier indissociablement culture arabe et culture islamique, ou en tous cas tu définis ta culture personnelle comme dérivant proprement de l'islam.
    Or, pour les avoir lus, Averroes et Avicenne étaient bien plus aristotéliciens que partisans d'une religion révélée, et quand bien même, plus philosophes que religieux. Les mathématiques n'ont pas besoin de Dieu, comme la poésie arabe n'a pas besoin du Coran.

    Alors que les français notamment définissent une part de leur culture comme justement constituée par le rejet de la religiosité, certains lettrés arabes ne semblent pas pouvoir dissocier ce qui relève de la culture et ce qui relève de la religion.

    Que se passe t'il ?

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