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jeudi 13 octobre 2011

que dire à nos enfants


Jupiter, le 1er janvier 2060

Mes chers enfants,


Je profite de cette nouvelle année 2060 pour vous souhaiter le meilleur pour votre vie, dans votre vie. Vous me manquez tellement et même si ce petit voyage à travers la galaxie me repose, en votre absence, je ne suis pas apaisé.  Pluton est effectivement très belle, et mars est magnifique. Je vous recommande le détour, qui ne prend pas autant de temps qu’on l’imagine. Et avec cette
nouvelle machine qui sert à le remonter, le temps n’a plus vraiment d’importance.

Je lisais un article en navette, sur cette technologie qui sert à revenir dans le passé. Ils n’ont toujours pas trouvé le moyen de nous y faire voyager avec notre conscience du présent. Et on se retrouve donc hier, avant hier où il y a 20 ans, mais avec exactement la même conscience et les mêmes connaissances que nous avions à ce moment là. Il est d’ailleurs curieux d’observer que systématiquement, les personnes, même en remontant le temps, même avec cette possibilité de « refaire », refont systématiquement la même chose, la même vie, même les erreurs. L’Homme est faillible, bien heureusement.

Votre lettre m’a fait bien plaisir et je suis heureux de voir que les choses se passent si bien en Tunisie. Cela n’a pas toujours été le cas.

Mon fils, tu évoquais ces fameuses élections du 23 octobre, effectivement en 2011.

Ce fut déjà bien dur d’y parvenir à ces fameuses élections libres. Beaucoup de voix se sont élevées pour dire que les candidats étaient pourris, que le système était encore vérolé et que ce vote était une mascarade. Des bras se sont baissés, certains ont abdiqués, n’y croyant plus, n’y croyant pas. Le plus dur avait été fait, mais il restait le plus long et la route paraissait, et de facto était, bien longue.

Il est vrai qu’à la veille de ce fameux scrutin, rien n’était parfait loin s’en faut. Avant même le vote, le futur exécutif était organisé, négocié, partagé, réparti. Nous devions voter pour une assemblée constituante alors même que les grandes lignes des institutions étaient déjà posées, entérinées. Alors oui, certains n’ont pas saisi l’utilité, la nécessité du vote. Pourquoi participer à une partie jouée d’avance disaient-ils sous forme d’interrogation désabusée.

Et nous n’avons pas cessé d’expliquer que cette fois nous pouvions participer à cette partie librement.  Il faillait montrer aux dirigeants que nous étions là, sur le pont, toujours, et que lorsqu’on est présent c’est pour jouer. Ne pas voter à cette date là était un message clair de grande liberté envoyé pour les politiques. La chose publique n’intéresse pas le peuple, qui n’est que la somme d’individualités penseraient-ils. Bien entendu ce n’était pas le cas, et la grille de lecture de ce déni du vote devait se faire à travers le prisme de la colère citoyenne. Prisme qui n’aurait pas été utilisé et qui nous aurait contraint donc à une nouvelle lutte physique contre un pouvoir qui se serait cru libre ou libéré alors qu’il n’était qu’inintéressant.

Alors votez leur disions-nous. Votez. Votez massivement. En nombre, en grand nombre. Car même si la partie est jouée car même si ce jeu s’est fait derrière notre dos, face à un afflux massif de participants, aucun des vainqueurs n’osera se fanfaronner gagnant. Ils gouverneront tous avec la hantise de ces participants, en quantité, qui leurs ont clairement dit, par ce vote, qu’ils les épiaient, les scrutaient.  Votez leur disions-nous, ainsi les dirigeants deviendront gouvernants, et nous votants prendrons la place qui nous revient, celle de dirigeants

Je vous assure mes enfants, la tâche ne fut pas simple.

D’autant que le spectre de l’islamisme menaçait. J’écris menaçait car ce spectre existait, c’était une évidence ne serait-ce que visuelle, et cette existence était exacerbée par un débat qui ne tournait qu’autour d’eux, par des médias pour qui c’était là seule interrogation, par une partie de l’occident qui en frémissait d’horreur et une autre qui voulait voire, en grandeur nature, s’il était possible d’avoir un islamisme modéré. Ou quand la révolution du Jasmin pouvait devenir le laboratoire d’un occident pour qui l’odeur du jasmin n’est pas meilleur que celui du sang. Après le printemps où on le hume, le jasmin a failli être décortiqué, génétiquement modifié, par des chercheurs tout puissants sur l’Homme mais ne sachant rien de l’Homme.

Oui la civilisation musulmane a ses intégristes, ses fous et furieux, ses obscurantistes. Mais cette dérive n’est pas propre à l’islam. Et contrairement à ce que certains pensaient, la religion musulmane n’enfante pas, suis generis, des adeptes extrémistes. Le fanatisme est le propre non pas de chaque religion ou en tout état de cause, pas exclusivement, mais de chaque groupe d’individus.

Il y avait toujours au sein d’un groupe d’individus qui sont unis par des valeurs communes, il y avait toujours parmi eux certains excessifs, certains despotes et certains extrémistes. C’était le cas certes chez les musulmans, mais aussi chez les chrétiens, chez les juifs, chez les occidentaux et chez les orientaux. Chez les médecins, chez les avocats, chez les hutus ou chez les tutsis, chez les bloggeurs ou les twittos, mais vous n’avez pas connus, chez les habitants d’une ville, d’un bourg, d’un patelin, et cetera desunt.

Prenons l’occident mes chers enfants, qui avait tant peur de l’orient, et d’où certaines voix s’élevaient en expliquant qu’il y avait peut-être des extrémistes en occident mais qu’ils étaient beaucoup moins dangereux que ceux de l’orient. Ces voix là, ces occidentaux là, oubliaient que 60 plus tôt, dans les années quarante, certains de leurs dirigeants, Hitler, Staline Franco, en quelques quinze ans ont fait quelques 40 millions de morts. Oui mes enfants, cet occident qui nous craignait tant, qui avait si peur de nous, ce même occident venait, car sur l’échelle de l’histoire, 60 ans, c’est hier, venait donc de liquider, de faire disparaître de la surface de la terre à minima 40 millions de personnes.

Alors certes, et bien entendu, il nous fallu nous aussi lutter contre nos obscurantistes, nos fous et le faire avec la plus grande force et le plus grand courage,  mais le faire sous le regard professoral d’un occident qui finissait de se laver les mains de son sang avait quelque chose d’insupportable. Qu’il nous aide dans cette lutte, soit, et nous en avions besoin, qu’ils nous assistent même car ils venaient d’en sortir eux-mêmes, mais qu’ils le fassent avec l’humilité du repenti et non l’arrogance du maître.

Voilà mes enfants, mais ce temps là est bien loin maintenant, et heureusement nous en sommes sortis. Aujourd’hui plus aucune dérive n’est possible, aujourd’hui tout est sous votre contrôle, votre direction, en toute transparence, en toute responsabilité, parce qu’effectivement, ce fameux jour du 23 octobre, le peuple tunisien a montré une nouvelle fois la voix, parce que ce fameux 23 octobre il a clairement exprimé son souhait du plus jamais ça, parce que ce 23 octobre, et malgré tous les efforts des politiques pour nous y désintéresser, ce 23 octobre, nous avons juste voté en masse, librement. Nous avons ce jour utilisé l’outil de la démocratie, pour pouvoir la rendre par la suite participative.

Mes enfants, je vous aime et pense sans cesse à vous, car toutes ces luttes, parfois incomprises, d'autres fois méprisées, c’est pour vous que nous les avons menées.  Et si aujourd’hui vous profitez non pas de la douceur angevine, mais du bien vivre marsois, tunisois ou mutuellevilois, c’est bien parce ces combats ont été gagnés. Et ils ont été gagnés car il suffisait simplement de les mener.  

3 commentaires:

  1. Franchement, ce mec est celui qui nous faut en tunisie. mais presente toi bordel. les idées excellentes, un talent d'orateur par écrit en tout cas. mais vas y serieux, fait nous rever et vas y.

    Lyes et fan

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  2. Je mettrais un bémol, en tant que chrétien...
    La constante à travers les âges, c'est la cruauté de l'Homme. Aujourd'hui la peine de mort est abolie en France, mais dans le passé on écartelait les condamnés partout dans le monde en leur faisant avaler du plomb fondu et autres choses plaisantes. Hitler et Staline sont dans cette droite ligne, comme Pol Pot, Robespierre ou autres tyrans. Question de moyens...
    La religion, en revanche, n'a pas à se caractériser par l'intégrisme, encore moins la violence.
    La religion juive n'a pas la réputation d'être violente.
    La religion catholique, si elle a été violente en d'autres temps, l'a été pour défendre en son sein des déviances qu'elle refusait. Si elle a présidé aux croisades, c'est pour ré-ouvrir aux chrétiens les portes de Jérusalem, que les Turcs leur avaient interdits, alors que les Arabes l'avaient accepté. On le voit, cette violence fut politique.
    L'intégrisme islamique, c'est assez différent. Les textes de la religion portent cette violence issue de son fondateur, et donnent ainsi caution aux extrémistes (que l'on trouve en effet dans tous les groupes humains, mais sans cette caution)pour agir avec violence au nom de Dieu.
    Heureusement, comme dans tout groupe humain, les intégristes sont minoritaires et les musulmans pacifiques sont majoritaires, dussent-ils avoir à souffrir par les actes commis par quelques uns au nom d'une soi-disant commune religion.

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  3. Tu comptes rester combien de temps sur Jupiter ? Franchement je n'avais pas pensé à cette planque ! Je ne suis pas aussi optimiste que toi...je n'arrive pas à quitter ma planète terre qui va pourtant à la dérive! Ta lucidité ne m'étonne pas, venant d'un franco-tunisien...

    FemmeRebelle

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